(Crédit photo Lelelerele )
D’habitude, on est toujours ce petit groupe de 12 un peu bruyant, on raconte des conneries sur fond de mozzarella, on refait le monde, on vide des bouteilles, et on se quitte en se disant « à la semaine prochaine ». Il était 20h, ce vendredi soir, et avec ma copine Vivi et son amoureux David, on avait décidé d’aller manger une pizza dans notre QG de l’amitié préféré.
Car à 12, 6, ou 3, il n’y a pas de conditions pour aller à la Maria Luisa. Il faut juste espérer qu’il y ait de la place quoi.
Sinon, pas grave, comme d’hab’, on laissera notre numéro de téléphone, et on ira boire une mousse en face en attendant que le resto nous rappelle dès qu’une table se libère.
On ira boire une mousse. En face. Au Carillon.
David regarde la carte
« Je ne sais pas quoi prendre… »
David n’aime pas trop les pizzas.
« T’es con, fallait le dire, on serait allé manger un bobun en face »
Un Bo-Bun. En face. Au Petit Cambodge.
Mais David est un gentleman, et sait savoir faire plaisir aux estomacs de 2 nanas affamées. Alors on commande, on mange, on boit, et on engueule Vivi qui mange trop lentement. Tu vas la finir ta pizza qu’on sorte la fumer cette clope !
Mais elle est comme ça ma copine Vivi. Elle parle, elle parle, elle parle, et elle mange très lentement.
Et puis comme pour fêter la fin de notre bon repas… des pétards. Pas des petits pétards de 14 Juillet. Non. Non. Des gros pétards. Des pétards qui résonnent très très fort dans le carrefour. Je tourne alors la tête en direction du Carillon. C’est noir. C’est flou. Et je n’entends plus vraiment grand chose, si ce n’est quelqu’un hurler « COUCHEZ-VOUS ».
Les chaises, les tables, les verres, les assiettes, mes croûtes de pizza, nous. Plus rien n’est debout.
Je me dis alors que c’est un règlement de compte au Carillon, et que ça va aller, on craint rien.
Quelle conne.
Et puis le silence. Ce silence. Ramper jusqu’à l’escalier qui descend à la cuisine, s’asseoir par terre, et attendre. Attendre. Attendre. Entendre. Entendre cette alarme de voiture qui résonne. Croire que les secours sont arrivés. Attendre. Encore. Entendre le mec à côté de moi dire qu’il y en a eu d’autres. Entendre cette fille au fond parler d’une prise d’otages au Bataclan. Et comprendre. Comprendre que non, ce n’est pas un règlement de compte. Comprendre qu’il faut que j’arrive à joindre mon homme, mes parents, mes amis. Leur dire que je vais bien et espérer qu’eux aussi. Recevoir des dizaines de messages de mes potes, de ces copines perdues de vue et de mes ex aussi. Espérer me réveiller dans mon lit, le secouer et lui dire « Putain j’ai fait un de ces cauchemars ! ». Mais réaliser que le cauchemar est bien réel, et se trouve sur le bitume, juste au dessus.
Et depuis 4 jours, se demander pourquoi. Pourquoi tout ça. Et pourquoi pas nous, ce soir-là.
Et puis essayer de reprendre ma petite vie pépère, réussir à aller acheter mon pain à côté de la Bonne Bière, retourner à la pizzeria comme toutes les semaines, aller à ce concert d’Hot Chip demain soir, que j’attends depuis des mois, et ne plus avoir peur de sortir de chez moi.
Il parait qu’en parler fait partie de la thérapie.
Mais la thérapie de quoi en fait ? Je suis là, je vais bien, et mes amis proches aussi.